Les quatre filles du Dr March est la traduction et adaptation française du roman Little Women de Louisa May Alcott. Oui, tu as bien lu, je parle d’adaptation. Tout simplement parce que les deux romans ne sont PAS du tout les mêmes !
« Quoi ? Comment se fait-il donc ? », « Pfeuh’ ! N’importe quoi ! » t’entends-je déjà marmonner devant ton écran. Eh bien, figure-toi qu’en lisant ce beau livre des éditions RBA, j’ai été frappé par l’histoire qui m’est apparue légèrement différente de celle dont je me souvenais avoir lu quelques années auparavant. Bon, j’ai aussi vu l’adaptation cinématographique de 94 depuis, donc je me suis dit que mes souvenirs du livre avaient sans doute été altérés par cette dernière. Mais, ne souhaitant point en rester là sur mes souvenirs titillants qui ne cessaient de remonter quand je percevais un « truc qui clochait », j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et de faire des recherches sur ce bouquin écrit en 1868 aux USA.
L'histoire de Little Women
En bref, Little Women nous parle de quatre sœurs aux personnalités bien différentes qui grandissent et évoluent chacune à leur manière dans une société patriarcale, travaillant, tant bien que mal, à gommer leurs défauts de petites filles pour devenir de jeunes femmes accomplies… et indépendantes.
Oui, nous avons à faire ici à un bouquin au caractère subversif, presque féministe, particulièrement novateur pour l’époque ! Jo, l’héroïne subtile du livre, est un personnage au caractère fort et entier, aux manières « de garçon » et dont le rêve est de vivre indépendante, gagnant sa vie en vendant des romans écrits de sa plume, et, surtout, sans avoir l’embarras d’un époux.
Des changements dans l'adaptation française du livre
Pourtant, en lisant Les quatre filles du Dr March, les lecteurs.trices français.es n’ont pas vraiment cette retranscription. En effet, pas moins de 7 traductions du livre existent en français et sont, pour la plupart, des romans racontant comment des petites filles apprennent à être de gentilles petites femmes sous la tutelle de leur père.
En parcourant l’étude hyper intéressante de Claire Le Brun (PhD , Univ Montréal) on se rend compte que certains traits de caractères, gestes et actions des personnages féminins ont été édulcorés pour être « plus sages », et correspondre aux codes de la féminité française.
L’une des premières « traductions françaises » du roman, en 1880 par P.-J. Stahl (et reprises par d’autres éditions plus tard) va même jusqu’à changer la fin du roman de manière radicale en laissant à Jo un sort à l’exact opposé de ce que l’auteure souhaitait pour elle, c'est-à-dire, un dénouement matrimonial.
D’ailleurs, le « Dr March » n’existe même pas dans le livre original puisque le père des filles est pasteur et n’est quasiment jamais présent.
À l’époque, P.-J. Stahl le traducteur, justifie ce changement par le fait que les Français républicains n’auraient jamais adhéré à un roman aux valeurs aussi protestantes (car de nombreux chapitres font mentions à la religion protestante autour de laquelle les filles sont élevées). Il a donc pris la liberté, comme d’autres après lui, de supprimer le caractère subversif de l’œuvre. Meg, Jo, Beth et Amy ne sont plus des femmes – women – en devenir, mais des filles éternellement fixées dans leur statut de minorité, d’appartenance à un homme. Cette version persiste encore dans la plupart des éditions publiées aujourd’hui, censurant pourtant un aspect important du livre.
À votre avis, les traducteurs ont-ils vraiment le droit de censurer une œuvre originale pour « s’adapter davantage aux mœurs de son pays d’adoption » ?
Et vous, avez-vous lu Les quatre filles du Dr March ou Little Women ?
